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Abraham l'hébreu ou l'espérance de fraternité

Abraham L'hébreu (1988)
 
Cours du Rav Léon Ashkénazi sur le thème :
Abraham L'hébreu ou l’espérance de fraternité (1988)
 
 
Je vais aborder dans un premier point très succint ce que nous avions vu l’année dernière au sujet de l’identité de Abraham l’hébreu qui est à l’origine de l’histoire d’Israël. Nous avions vu que contrairement à un cliché très répandu chez les historiens, et parfois chez les historiens connu comme compétents, Abraham est un hébreu qui se trouvait dans la région de Mésopotamie de son temps, et dans la ville connue sous le nom de Our-Qasdim.


Si vous consultez des cartes anciennes pour les confronter aux cartes actuelles, vous aurez la surprise de découvrir que Our-Qasdim se trouve dans la région de la frontière entre l’Irak et le Koweit. A côté d’une ville à laquelle les textes prophétiques font allusion, sous le nom de Basra ou Bosra en hébreu et qui s’appelle Bassora dans la géopolitique contemporaine. Comme pour nous dire que nous sommes en un temps où certaines boucles tendent à se reboucler, et là où cela a commencé, il se passera ce qu’il se passera...


Notre histoire a commencé avec un homme que la Bible nomme Abraham l’hébreu et cette identité hébraïque nous avons essayé l’année dernière de la situer à la fois historiquement et géographiquement. Et en relation avec le pays d’Israël qui à l’époque se nommait le pays de Canaan parce qu’il avait été envahi par les Cananéens – différents peuples regroupés sous l’identité Canaan dans le texte de la Bible – mais que la Bible nomme le pays des Hébreux.


Ceci pour indiquer que dans la contestation pratiquement universelle contemporaine sur la question du lien entre le peuple d’Israël et la terre d’Israël, il est nécessaire en tout cas que les Juifs, qui sont des héritiers des Hébreux, retrouvent cette mémoire de leur origine et ait la conscience de leur légitimité absolue en tant que un peuple relié à sa terre.


Je n’entre pas dans les détails mais vous percevez les implications de tout ordre qu’il y a autour  de ce problème. Nous avons expérience de doutes, de perplexités, de Juifs qui parfois devrait être au courant de leur propre source parce que c’est la Bible notre carte d’identité, et qui malgré cela ayant été imprégnés de ces clichés «d’ antisémitismes » subtils, venant parfois d’autorités universitaires, craignent de porter atteinte à la légitimité d’un autre peuple qui est en rivalité et en contestation et en interpellation avec Israël. C’est une histoire qui ne commence pas de notre temps, c’est une histoire qui nous est racontée par la Bible déjà au temps du commencement il y a près de 4000 ans au temps de Abraham l’hébreu. C’était si je me souviens bien l’essentiel de l’analyse de la dernière fois.


 Je voudrais aborder la suite de cette analyse : je vous indique que ce sujet comporte une étude qui pourrait durer très longtemps, c’est-à-dire que ce n’est pas en une fois que nous pouvons épuiser les dimensions et la problématique de cette manière d’être homme que la Bible nomme Israël et qui prend sa source dans l’idendité hébraïque.


Petite parenthèse en passant : Nous, Juifs, nous nous sommes connus comme juifs dans la diaspora – les Juifs cela veut dire les judéens –  et nous étions d’origine hébraïque  mais avec le long temps de la diaspora nous avons fini par perdre de vue l’identité essentielle de l’hébreu qu’il y a en nous, Juifs. Pour formuler cela de façon schématique : les Juifs sont d’origine hébraïque. Ils ont risqué d’oulier leur origine, il y a eu le risque d’une identité seconde, une identité de diaspora se connaissant comme sui generis et découvrant avec étonnement, dans la contemporanéité que nous vivons, qu’une partie du peuple juif redevenue hébreu leur pose un problème d’identité, c’est-à-dire l’Israël des israéliens. Les israéliens sont des Juifs redevenus hébreux, et sont des Hébreux d’origine juive. Ce n’est pas du tout une boutade, il y a là deux problèmes qui ne sont pas forcément exactement les mêmes : les Juifs dans leur quête d’identité doivent retrouver leur origine hébraïque, et les israéliens en tant qu’ils assument leur identité, ne doivent pas oublier leurs origines juives.


Je voudrais dire très brièvement que l’humanité entière a été traversée par cette identité hébraïque. Je le dirais schématiquement de la manière suivante : en Occident il y a un monde culturel, spirituel, religieux, considérable qui est la chrétienté qui à travers 2000 ans a touché un nombre incommensurable de consciences, lesquelles dans leur équation personnelle propre, disons dans leur bonne foi propre, se sont pris pour Israël, se réclament des patriarches et des prophètes hébreux, d’une certaine manière de la terre des Hébreux qu’ils considèrent comme leur terre sainte.


Et finalement vous savez à quel point le monde de la chrétienté quelque soit les remises au point par rapport aux Juifs et au judaïsme que la Shoah leur impose que l’état d’Israël leur impose, est encore en rivalité d’identité avec l’Israël des Juifs. Et avec un problème qui est encore en suspend par ce qu’ils découvrent dans un traumatisme considérable, 2000 après, que peut-être ce sont les Juifs qui sont Israël et alors qui sont-ils ? Cela c’est d’un côté du monde.


De l’autre côté du monde c’est la rivalité de l’islam. Et là encore, tout un pan de l’humanité considérablement ample du point de vue du nombre et de sa quantité, et de son poids politique actuel, et de la menace qu’il représente, non seulement pour Israël, et qui eux aussi à leur manière se réclament des patriarches et des prophètes et des rois d’Israël et de la terre d’Israël qu’il considèrent non seulement comme une terre sainte mais comme un terre arabe.  


Et par conséquent, nous, petit peuple juif, sommes peut-être les moins bien placés en tant qu’héritiers des Hébreux – peut-être par réaction de modestie d’ailleurs - pour percevoir l’impact considérable que l’identité hébraïque a eu dans l’histoire de l’humanité, au point où nous nous trouvons 4000 après en but aux interpellations que la Bible raconte lorsqu’elle raconte l’histoire de la famille d’Abraham, à partir du moment où Abraham décide de décrocher de la civilisation mésopotamienne et de rentrer au pays des Hébreux.


Ce sont des choses très analogues que les générations actuelles du peuple juif par rapport à Israël vivent. Cela nous est raconté dans la Bible à l’échelle de l’histoire des patriarches. Nous sommes ce peuple privilégié qui peut lire son histoire dans les journaux et qui lit les journaux en lisant la Bible.     


Pour revenir à notre sujet : il est nécessaire de comprendre quelle est la clef de cet impact de l’identité hébraïque dans l’histoire de l’humanité. Au point que le monde entier, quelque soit ses problèmes, réclame Jérusalem comme étant sa capitale, à la condition qu’elle ne soit pas celle des Juifs. C’est tellement énorme qu’ on a l’impression que l’humanité contemporaine n’a même pas le sens d’humour minimum qu’il faudrait pour remettre les choses à leurs proportions. Un tout petit peuple et des problèmes aussi énormes autour.


Vous percevez les dimensions et l’envergure du problème posé à l’histoire des hommes dès qu’Abraham sortant d’Our-Qadim se dirige vers les montagnes de Moriah. « Lekh lekha » c’est dit en sortant d’Our-Qadim, mais c’est dit pour la montagne de Moriah et l’histoire d’Israël va commencer en ce temps.


Le Midrash s’interroge sur la raison pour laquelle le texte de la Bible tient à dénommer Abraham « Abraham l’hébreu » alors que nous connaissons déjà les généalogies qui ont engendré Abraham, et que nous savons qu’Abraham est descendant de Shem – un des trois fils de Noa’h qui a été le  fondateur de la civilisation des Sémites -  à travers un des patriarches de l’antiquité qui se nomme Ever. Le mot « hébreu » en hébreu – Ivri - signifie descendant de Ever.


Par conséquent, puisque nous savons déjà cela par les textes précédents en fin de Parashat Noa’h, nous savons que Abram fils de Tera’h est descendant de Ever. Pourquoi le texte de la Torah en nous racontant un épisode de la vie d’Abraham lorsqu’il doit intervenir dans une guerre qui oppose 4 rois à 5 rois pour délivrer son neveu Loth fait prisonnier, nous dit (Genése chapitre 14:13) :


  וַיָּבֹא, הַפָּלִיט, וַיַּגֵּד, לְאַבְרָם הָעִבְרִי  
Les fuyards vinrent en apporter la nouvelle à Abram l'Hébreu.

 
On est venu annoncer à « Abraham l’hébreu » que Loth était fait prisonnier. Le Midrash s’interroge parce qu’au niveau du Pshat, c’est-à-dire du sens direct, nous savons que cela veut dire un hébreu, un descendant de Ever – Eber. Alors le Midrash donne un certain nombres d’harmoniques de sens et nous renvoie en particulier au verset qui va définir celui qui est Ever. Quelle est cette identité qui prend son nom de l’ancêtre Ever et pourquoi cet identité a t-elle une telle importance dans l’histoire des hommes ?


Voilà la première question que je voudrais aborder.


Ever est le descendant de Shem de la génération immédiatement antérieure à la grande diaspora des nations qui est le résultat de ce qui nous est raconté dans l’épisode de la tour de Babel. Nous apprenons du récit de la Bible que avant l’époque  de la tour de Babel que nous appelons dans la tradition Dor Hapélagah « la génération de la dispersion » – j’en profiterais pour vous parler ultérieurement, et je vous l’indique pour ne pas l’oublier, qu’il faut réfléchir sur la notion de diaspora, cliché des sociologues plus que des historiens : et alors que la conscience juive est  habituée à l’idée que le fait de diaspora s’attache à l’identité juive et qu’un juif se définit par le fait de dispersion et d’exil, le récit de la Torah nous dit exactement l’inverse : la diaspora c’est la diaspora des nations. A partir de l’unité de l’identité humaine, l’identité humaine éclate en différentes nations qu’on appelle les Goyim, mot qui étymologiquement signifie « les nations ». Avant le temps des nations, il y a eu le temps de l’humanité une. Et c’est à partir de Babel que l’universel humain a éclaté en nations. 


Or, précisément Ever c’est le descendant de la lignée de Shem avant la Pélagah, avant la grande dispersion. Ce qu’il faut retenir c’est que lorsque la Torah énumère les 70 nations qui sont le résultat de l’éclatement de cette unité de l’universel humain, il n’y a pas Israël. Il y a les descendants de Ever. Il n’y a pas encore Israël. Israël apparaitra plus tard à partir d’Abraham et après une sélection d’identité de cette recherche de l’identité hébraïque épurée après le temps de son propre exil au temps de Jacob, petit fils d’Abraham, qui prend le nom d’Israël. D’une certaine manière c’est en Jacob qu’Abraham devient Israël.  


Et lorsque plus tard, pour des raisons propres à la vocation d’identité de ce peuple d’Israël arrive le conditionnement des péripéties de la diaspora d’Israël à proprement parler, alors cette dispersion d’Israël est seconde et vient se greffer sur la dispersion humaine avec une finalité messianique que les prophètes d’Israël expliquent. Ce qui est encore un autre sujet. Mais ce qu’il faut retenir c’est que le fait de la diaspora pour l’identité humaine c’est le propre des Goyim, ce n’est pas le propre d’Israël. L’identité de diaspora du peuple d’Israël est dérivée, elle est seconde et provisoire même si elle dure dans le temps. C’est lorsque l’identité d’Israël vient se greffer sur la diaspora humaine en vue de la réunifier dans le retour au pays des Hébreux.   


Et là comme vous le savez nous sommes en conflit avec d’autres courants religieux, en particulier la manière dont la chrétienté définit l’exil des Juifs comme une malédiction, une punition sans fin. Et l’islam de manière assez analogue mais différente d’aileurs comme une disqualification de la vocation d’Israël. Et puis aussi certains courants juifs, religieux ou non, qui s’instaurent dans cette identité provisoire qu’ils voudraient voir comme sui generis et définitive, tombant dans le piège que les rivalités chrétiennes ou islamiques leur ouvrent.


Voici ce que dit le verset de la Bible concernant Ever. Il s’agit du verset 25 du chapitre 10 de la Genèse :


וּלְעֵבֶר יֻלַּד, שְׁנֵי בָנִים
OulaÊver Youlad Shnei Banim

Et à Ever fut enfanté 2 fils,


שֵׁם הָאֶחָד פֶּלֶג
 Shem Haé’had Peleg

le nom du premier Peleg,


כִּי בְיָמָיו נִפְלְגָה הָאָרֶץ
Ki Biyamav Nifléga haarets.

Car en son temps la terre s’est dispersée.
 
Et suit dans le chapitre 11 la description de cette dispersion des 70 nations de base, et c’est là qu’apparaît pour la première fois cette catégorie : cette dispersion s’est faite chez les familles humaines selon leur pays, selon leur nations (aux Goyim), selon leur langues.


Donc l’identité hébraïque n’est pas une parmi les identités humaines formellement analogues. C’est l’identité de l’homme avant la dispersion humaine. Avant la Pélagah. C’est l’identité de l’homme un. C’est une identité qui garde en elle-même ce qu’est l’homme authentique tel que Dieu l’avait créé. Lorsque par exemple la Guémara dira en s’adressant à Israël : « Atem krouyim Adam vé eïn oumot haolam kerouyim Adam », il y a une allusion à ce que nous dit ce verset. Ever n’est pas n’importe qui, le verset le dit très clairement, il est le père de Peleg et c’est avec Peleg que la Pélagah, la diaspora, la dispersion de l’identité humaine a commencé.


Et donc, il devient compréhensible que lorsque les nations du monde - qui chacune d’entre elles ont recueilli un aspect partiel du génie humain - génial à leur manière mais de manière partielle – rencontrent l’identité hébraïque alors elle rencontre l’espérance de l’homme un, l’espérance de l’universel.


A chaque étape de la civilisation humaine cette espérance se formule dans des indices d’espoirs messianiques différents mais il est bien évident que dans la rencontre de l’hébreu alors il y a la rencontre de l’espérance messianique fondamentale : reconstituer l’universel humain, l’unité humaine tel qu’elle se trouvait avant que ne commence le temps des empires. Les empires : chaque nation éclatée à tour de rôle qui tente de prendre en charge ce rêve de la reconstitution de l’universel humain mais qui échoue comme par fatalité parce que le véhicule existentiel n’est pas adapté à l’idéal. Alors que l’idéal est authentique, l’homme universel, l’homme un, le véhicule sociologique est trop partiel pour réussir. Ce qui fait que toute l’histoire de ces rêves de l’universel chez les Goyim, chez les nations ont toujours échoué dans des impérialismes. Une manière d’être homme en particulier qui tend à s’imposer aux autres. Alors que le rêve, le but, l’objectif était idéalement authentique : refaire l’universel humain.


Je vous donnerais un exemple parmi d’autres - mais il n’y a pas d’exception - auquel nous sommes familiers : la révolution française. Le rêve de l’universel des fondateurs idéologiques de la révolution française est authentique. Lorsqu’on lit les textes, surtout les philosophes qui ont précédé cela, surtout chez les Encyclopédistes, l’idéal de la révolution française, on rencontre un idéal authentique de l’universel humain. Quelques années après la première république c’est l’empire français. Et ce n’est pas qu’une ironie de l’histoire c’est une fatalité. Après la constituante c’est l’empereur. Avec le symbolisme exactement calqué sur les empires de l’antiquité. Il n’y a aucune exception.


Nous vivons un temps exceptionnel avec l’effondrement de l’empire soviétique. Lorsque la révolution d’octobre a repris à la russe le rêve de l’universel humain, elle a voulu fonder l’universel humain et a fondé un empire qui s’est finalement écroulé sous nos yeux de notre temps.


Il y a donc dans l’identité Ever quelque chose de particulier. Dès l’origine, dans le principe c’est une identité à part des autres identité humaines. Voilà l’indication très directe de ce verset cité au chapitre 10 verset 25 de la Genèse.


C’est un verset particulier parce qu’il s’agit d’une généalogie à partir de Shem où la Torah se borne à énumérer les noms des hommes à chaque génération. Elle ne donne une explication du nom qu’à propos de Ever ! Pour dire qu’il est le dernier à être l’homme un. Après lui Peleg ! Nous avons en hébreu moderne le nom de Miflagah qui veut dire un parti : cela éclate en différentes dimensions qui gardent la nostalgie du tout de l’un mais qui ne peuvent réaliser que le caractère partielle de ce qu’elles sont au niveau de l’histoire des sociétés.


Et voilà l’histoire dans laquelle nous sommes plongé depuis l’histoire de la tour de Babel, il y a un rêve messianique qui passe par les Hébreux, et il y a l’histoire des empires qui est l’histoire des nations, l’histoire des Goyim.


Tout se passe comme si nous sommes arrivés au temps historique du bilan de ces histoires avec le retour des Juifs sur la terre des Hébreux de notre temps, après le temps du 4ème empire selon la chronologie biblique qui est l’empire de Rome, et il ne faut pas oublier d’indiquer que la fondation de l’empire soviétique et la déclaration Balfour ont eu lieu la même année. Il ne faut pas trop réfléchir aux « coïncidences » qui donnent le vertige et donne des cauchemars. Il faut donc les laisser de côté, d’autant plus qu’elles sont plus que des coïncidences… Je reviens au sujet.


Nous avons là une identité qui est celle de Ever qui entrée dans un exil. Que faisaient les Hébreux en Mésopotamie ? Mais au fond la question n’est pas plus mystérieuse que de se demander aujourd’hui ce que font les Hébreux en Australie ? ou à Trifouillis-les-oies ?    


C’est un fait que l’identité hébraïque est entrée dans une phase récessive, elle est devenue araméenne au temps des Chaldéens, un peu de la même manière qu’elle est juive au temps des Romains, et puis Abraham prend l’initiative de mettre fin à cet exil échoué d’Our-Qasdim.


Le Midrash nous raconte que cela s’est terminé par une Shoah épouvantable à la manière même des Shoah que les Goyim nous impose par le feu, les bûchers de l’inquisition et de l’Allemagne nazie. Et le Midrash raconte qu’Our-Qadim signifie la fournaise dans laquelle les Hébreux étaient jetés lorsque le temps de la sortie d’exil est arrivé. Une famille de rescapés : la famille d’Abraham.


L’être-frère :
Une des dimensions de cette identité hébraïque que je voudrais suivre avec vous ce soir c’est l’identité-frère. On remarque que dans le récit biblique après le meurtre de Abel par Caïn dès l’origine, le terme de « frère » disparaît du récit.


Tout se passe comme si cette vision apparemment pessimiste mais très réaliste nous explique que le fait de société est fondamentalement une rivalité des personnes entre elles qu’il faut évacuer de telle sorte de fonder la cité. Et la cité est fondée sur le meurtre du frère par le frère.


Je prendrais l’analogie avec le mythe romain de la fondation de Rome. Là-bas aussi il s’agit de deux frères et l’un assassine l’autre et c’est sur le meurtre du frère par le frère que Rome est fondée et Rome s’en félicite. Le droit qui fonde la cité a pour mythe originel dans la tradition romaine le meurtre du frère par le frère.


Le récit biblique décrit ce problème de la rivalité des sujets dès que deux sujets sont en présence. Et c’est le problème insoluble du fait social à qui il faut imposer un ordre pour que la co-existence soit possible, mais là la Torah condamne le meurtrier. C’est la différence de mentalité.


Or, dans le récit de la naissance de ces deux frères qui fondent la société, Caïn c’est le fils attendu, mais Abel est nommé le frère. Et il a la charge du frère, la vocation du frère. Il deviendra berger, celui qui s’occupe d’autrui, et le berger c’est ce que le récit biblique cherche. Qui peut être berger de telle sorte que l’alliance soit contractée avec lui. On cherche qui seront les bergers, ils seront les prêtres. Le peuple des bergers c’est le peuple de Mamlekhet Kohanim VéGoy Qadosh – le peuple sacerdotal. En français nous sommes aidé par le terme de « pasteur ». Un berger c’est un pasteur.


Effectivement nous voyons ces récits parallèle qui montrent que le souci de Dieu dans sa recherche providentielle de l’interlocuteur de l’alliance cherche les bergers. Il y a l’épreuve des bergers. Les patriarches sont tous bergers. Moïse est berger. Et Moïse comme Joseph est celui qui recherche ses frères. Chaque mot du texte est important. David plus tard remplace Saül parce que David est le berger. Dans les Évangiles on cherche les pêcheurs qui savent pêcher les âmes. Alors que dans la Torah on cherche les frères. Ce sont deux visions religieuses radicalement différentes.  


Effectivement, nous verrons que le mot de « frère » revient dans le récit avec Abraham, et non seulement le mot de frère mais le mot de « sœur » : c’est lorsque le patriarche, deux fois dans l’histoire d’Abraham et une fois dans l’histoire d’Isaac, dit de sa femme qu’elle est sa sœur.


Alors je voudrais très brièvement aborder ces deux points : quel est l’identité frère dans l’identité hébraïque ? Pourquoi tant de rivalités qui interpelle le frère ? Que signifie le fait que le patriarche dit de sa femme qu’elle est sa sœur ?


C’est comme je vous l’ai indiqué l’une des dimensions de cette identité hébraïque, il y en a d’autres, c’est une des lignes de lecture. Je voudrais commencer par une ligne de lecture de la recherche du frère qui aime le frère, à travers le récit du mariage des parents. Depuis l’origine de l’histoire de l’humanité en flash dans les récits bibliques. Je me base sur un enseignement du Rav Lévi Na’hmani de Jérusalem et aussi sur une formulation de Madame Amado Lévi Valensi de Jérusalem. Je n’aurais pas le temps de dire ce qui revient à l’un ou à l’autre, ce qui vient directement des sources du Midrash ou du Shlah, c’est une analyse formelle mais je tenais à les citer parce que chacun d’entre eux, le Rav Na’hmani un grand kabbaliste de Jérusalem, et Madame Amado Lévi-Valensi, grand professeur de philosophie à Jérusalem, ont vu chacun à leur manière ce qui nous est indiqué par les textes prophétiques à ce sujet.


Si c’est nécessaire vous me le rappellerez, je vous lirais le début d’une Haftarah qui dit essentiellement cela. JE vous le dis rapidement vous me direz si c’est suffisamment clair. On prend l’histoire du premier homme. Quelques indications de base de ce qui nous frappe dans le récit de l’histoire du premier homme. Le premier homme et la première femme ne se parlent pas. C’est étrange ! Sauf pour des consignes de Kashroute. C’est l’humour biblique. Et en plus Rashi cite un Midrash qui dit que Adam Harishon était Makhmir, il avait dit trop dans son interdiction et le serpent en a profité... Ils ne se parlent pas. Et puis la Torah ne dit pas qu’ils s’aiment. Ils se sont certainement aimés mais la Torah ne le dit pas. Elle va le dire d’autres. C’est donc qu’ils se sont aimés mais pas à un niveau où la Torah le dit, en parle. Et puis on ne voit pas que Adam ait travaillé dans le sens hébreu de Avodah – pour obtenir par une oeuvre, par un ouvrage, par un effort, par un mérite, sa femme. Alors que l’on verra plus tard que cela apparaîtra. Et alors il en résulte que les enfants qui naissent ne s’aiment pas. Quel est le lien ? Mais c’est cela que la Torah va nous indiquer et on le verra dans les étapes suivantes. On cherche une identité humaine capable d’être frère et on va apprendre que cette identité humaine ne peut être qu’engendrer du dedans de l’amour. Et lequel ?   


Et l’humanité se développe jusqu’à cet échec épouvantable du déluge. Échec de la civilisation humaine et de la première tentative des hommes, dans cette catastrophe du déluge où l’humanité entière est effacée. Il faut garder cela en mémoire, le texte de la Bible est d’une lucidité impitoyable. Lorsque la relation de fraternité n’arrive pas à s’installer alors tout se passe comme si l’existence ayant perdu son sens, Dieu décide d’annuler. Ce n’est pas complètement détruit, puisqu’un rescapé, Noé, va sauver avec lui une sorte de résumé de ce qui existe, mais c’est effacé. La forme qu’avait pris l’identité humaine est inapte et elle est effacée. La matière - Homer - de l’identité humaine est préservée mais elle est remise en jeu dans l’histoire qui commence à Noé.


Comme je l’ai indiqué tout à l’heure il est frappant de voir que l’humanité semble être sanctionnée  parce qu’elle est incapable de la fraternité des frères. Et c’est ce qu’indique le texte en faisant disparaître le mot de « A’h - frère » à partir du moment où Caïn a tué Abel. C’est étrange.


Apparaît Abraham. Dans d’autres dimensions de cette identité humaine tout se passe comme si avec Abraham il y avait un recommencement de l’histoire. Et les sources sont nombreuses qui nomment Abraham le nouvel Adam. Adam Gadol Ba’Anakim . Il y a un renaissance de l’identité humaine, il est important d’entendre que elle est accompagnée de la ré-émergence du mot « frère-sœur ». Cela inonde le récit à partir d’Abraham.


Nous sommes donc dans tous les cas à un deuxième niveau et je voudrais formuler le progrès : Abraham et Sarah entrent mariés dans le texte. Tout se passe la Torah a préféré maintenir dans la préhistoire non dite la manière dont Abraham a obtenu Sarah. Un peu comme Adam. Et puis la Torah ne nous dit pas que Abraham a aimé Sarah. Ils se sont certainement aimés, mais encore une fois la Torah n’a pas jugé bon de le dire. Et puis, il y a quand même une différence : l’époux et l’épouse se parlent, et ils se parlent pour se dire des choses importantes. Le mari dit à sa femme qu’elle est sa sœur, et la femme reconnait que son mari est son frère. Là il y a un dialogue. Il y a un dialogue qui porte sur la fraternité. Ce sera donc le 2ème point de l’analyse de tout à l’heure mais retenez déjà cette indication.  


Le point de départ est très analogue à Adam et ‘Havah. Ce qui a eu pour résultat Caïn et Abel, des frères qui ne s’aiment pas. Mais là il y a un progrès : Abraham et Sarah se parlent. Et ils se parlent pour se dire l’essentiel. L’essentiel de la relation de fraternité entre l’époux et l’épouse. Le résultat est deux fils de Abraham. Ils ne s’aiment pas, et nous portons ce problème encore jusqu’à présent : Ishmaël d’un côté et Isaac de l’autre. Mais l’un n’arrive pas à tuer l’autre. Ainsi à l’échelle individuelle il y a des assassinats. Le Midrash est plein de cette plainte que Dieu se fait à lui-même, il y a des passages lucides dans le Talmud et un certain nombre de choses que Dieu a regretté d’avoir créé. Qu’est-ce que cela signifie que Dieu regrette ? L’une de ces choses s’appelle Ishmaël. Je n’y peux rien c’est écrit. Mais puisqu’il existe il existe. En tout cas Ishmaël n’arrive pas à tuer Isaac jusqu’à présent. Il y a des assassinats à l’échelle individuelle. C’est faux de dire que tous les Arabes sont des assassins de Juifs. Mais c’est vrai de dire que dans le temps que nous vivons les assassins de Juifs sont des Arabes. C’est ce problème. Mais en fin de compte Ishmaël n’arrive pas à assassiner Isaac, mais ils ne se parlent pas. Tout le monde parle dans la Torah, même le Satan parle, Ishmaël ne dit pas un mot. Et vous remarquerez que maintenant encore il ne veut pas nous parler ! Cela arrivera un jour.


C’est un problème en soi. Mais vous voyez qu’il y a quand même un progrès : le point de départ des parents est assez ressemblant mais avec un changement radical : il y a dialogue entre Abraham et Sarah. Et puis il y a donc deux fils : ils ne se tuent pas mais ils ne parlent pas. Il y a progrès malgré tout, mais le problème n’est pas résolu.


On passe plus loin avec Isaac et Rébeccah. Il y a quelque chose de nouveau qui apparaît. Ils se parlent pour se dire, ma sœur, mon frère. Et c’est là que cela réussi. C’est le 3ème épisode que j’analyserais assez rapidement tout à l’heure. Mais le texte dit que Isaac a aimé Rébeccah. Seulement le verset ajoute : Et il se consola de sa mère. Cela veut dire que ce n’est pas encore total. S’il y a des psychologues parmi vous ils comprendront de quoi il s’agit.


Mais il en résulte deux fils, Esaü et Jacob, qui se parlent au niveau de la rivalité pour savoir qui est le véritable hébreu, qui est le véritable Israël. Et dans la typologie traditionnelle talmudique et midrachique, la civilisation qui a réalisé le génie de l’identité d’Esaü-Essav c’est la chrétienté. Il faut mettre en évidence de la même manière dans le récit biblique que celui qui n’est pas Jacob mais qui prétend être Israël c’est Esaü. Dans l’histoire celui qui n’est pas le peuple juif mais se prétend être Israël c’est bien l’Eglise et Rome. Et nous vivons cette problématique d’identité à travers l’histoire jusqu’à notre temps où elle est en train de se résoudre. C’est un autre sujet.


Là encore il y a un progrès : les frères se parlent mais ils se séparent – avec rendez-vous à la fin des temps. C’est un passage de Malakhi qui décrit qu’à la fin des temps d’exil Esaü sera jugé par Israël sur la montagne de Sion et on saura qui a été Esaü. Le procès Eishmann est un exemple de ce dont parle Malakhi. A Jérusalem on a jugé ce qui a été issu de la civilisation de Rome dans sa réclamation d’identité d’Israël. Si je me permettais un affreux jeu de mot : Tout le monde a su qui était « Eikh Man » : Comment cet homme peut-il être un homme ? La prononciation allemande : Eishman qui veut dire l’homme du feu.


La 3ème génération c’est Jacob et Rachel. Or, avec eux deux quelque chose réussit : le verset dit [29:18]: וַיֶּאֱהַב יַעֲקֹב, אֶת-רָחֵל Vayééhav Yaaqov et Ra’hel – « Et Jacob aima Rachel ». Alors est né Joseph. Joseph est précisément le frère aîné qui aime ses frères. Et cette catastrophe qui avait commencé avec Caïn et Abel trouve ici sa rédemption avec Joseph et ses frères. C’est là que s’achève l’histoire de la Genèse et que commence l’histoire d’Israël.  Et c’est là que l’humanité embraye sur le message messianique et prophétique de la fraternité et de la recherche de la paix à la manière de la descendance d’Abraham.


Je résume-là assez rapidement une histoire extrêmement dense, telle qu’elle nous est racontée par la Bible et éclairée par le Midrash, simplement pour vous indiquer la cohérence de cette histoire. L’identité hébraïque est porteuse de la capacité d’être frère. Il faut arriver à l’engendrer d’Abraham à Joseph par des efforts successifs mais qui vont laisser comme une sédimentation de rivalités par les approximations de rivalité qui sont les faux-frères dans cette famille d’Abraham.


Les faux-frères :
Ils sont très nombreux. Je vais essayer de vous les décrire autour d’Abraham et nous allons essayer de les identifier autour de nous, avec le postulat suivant : si nous sommes Israël dont parle la Bible alors les personnages qui nous entourent et qui nous interpellent de rivalité dans notre histoire sont bien les personnages dont la Bible parle.
Si vraiment nous sommes Israël dont parle la Bible alors Ishmaël est aussi Ishmaël dont parle la Bible. Et pour comprendre nos problème entre Israël et Ishmaël ce n’est pas chez des idéologues fussent-ils des théologues qu’il faut aller chercher mais dans la Bible qui nous raconte notre histoire. Je suis toujours étonné négativement par tous ces hommes qui prétendent avoir foi dans le récit biblique au point qu’ils en pratiquent la loi mais qui chaque fois qu’ils sont interpellés par des problèmes historiques concernant l’histoire de notre peuple et d’Israël referme la Bible et ont des convictions personnelles. Cela donne la multiplicité des parties politiques. D’ailleurs c’est très étonnant que nous ayons une tradition, une loi, qui donne des réponses précises sur des questions doctrinales et de pratique religieuse très précises jusqu’au détail le plus infime, et qui pour les grands problèmes – l’histoire d’Israël et son sens, et l’histoire de la rivalité avec ces interpellations de rivalités – n’aurait aucun message alors qu’elle la raconte et qu’il faut aller chercher des convictions dans des opinions personnelles.


Je reviens au sujet : Nous allons reprendre l’histoire dans une relecture à partir d’Abraham. Je vais essayer de schématiser cela et vous me direz si c’est suffisamment clair.


Nous allons voir que le personnage principal de cette histoire d’engendrement depuis Abraham  jusqu’à Joseph en passant par Isaac et Jacob est entouré d’autres personnages dans le récit biblique.

 

  • D’un côté les rivaux qui sont ennemis et dont l’objectif est d’annuler cette identité hébraïque qui cherche à réémerger dans l’histoire humaine.

  •  De l’autre côté les rivaux qui veulent remplacer Israël. Les « faux-frères ».

On commence à la première génération avec Abraham. L’histoire d’Abraham est accompagnée de deux personnages parmi d’autres d’ailleurs : l’un est Nimrod qui est le chef, le tyran, le Hitler si j’ose dire, de la civilisation d’Our-Qasdim. Celui qui jetait les Hébreux dans .../... (la fournaise d'Our-Kasdim d’après le Midrash.)

http://www.toumanitou.org/toumanitou/la_sonotheque/pensee/abraham_l_hebreu_serie_1992/cours_1Face A

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