OBSOLESCENCE DU FRANCO-JUDAISME
La vie n’est pas si facile pour les Juifs de France.
Bien-sûr, il y a l’antisémitisme qui refait surface avec plus ou moins d’intensité selon les moments.
Certes, Il y a les cimetières profanés ou les tags en provenance de l’extrême droite (la vitrine de mon boucher dans le 15ème arrondissement de Paris a récemment été taguée d’un gigantesque « IsraHel ». J’ai appris à cette occasion que Hel était dans la mythologie nordique la déesse des morts régnant sur les 9 mondes infernaux…)
Evidemment il y a aussi, plus inquiétant encore, l’expression d’un antisémitisme d’origine islamique, parfois meurtrier, que les autorités françaises peinent à nommer, comme l’a montré le dernier rebondissement de l’enquête sur le meurtre de Sarah Halimi. Il y a encore, surtout à gauche, la banalisation de l’antisionisme ; le soutien fervent à la cause palestinienne devenant pour certains le substitut à un véritable programme de défense des défavorisés en France.
Mais il y a, plus profondément encore, un problème identitaire latent qui doit logiquement concerner tout aussi bien les autres communautés de diaspora. Le constat est assez clair et tranché : En 2025, dans moins de 5 ans maintenant, la majorité de la population juive mondiale vivra en Israël. Le dynamisme démographique israélien associé à la poursuite d’un taux important d’assimilation notamment aux Etats-Unis provoqueront un basculement du centre de gravité du monde juif de l’exil vers la terre d’Israël, sans contestation possible.
En d’autres mots, l’exil aura pris fin. Le statut d’appartenance des Juifs résidant à l’extérieur de leur pays en sera profondément modifié. Ils ne seront plus membres de communautés vivant en exil et s’associant, avec plus ou moins de succès, à la vie du pays où ils résident. Ils deviendront des individus juifs dont la survie identitaire passera, quoi qu’ils en veuillent, par une affiliation à l’Etat Hébreu.
Cela ne signifiera pas que pour rester juif, il faudra nécessairement faire son alyah. Mais il deviendra de plus en plus difficile de maintenir la fiction que l’affiliation aux Nations demeure au principe de la condition juive. C’est ainsi que deviendra obsolète le franco-judaïsme comme s’effacera la pertinence d’un anglo ou d’un américano-judaïsme, parachèvement du grand mouvement historique qui débuta avec l’implosion tragique au siècle dernier de la fusion judéo-allemande. On voit d’ailleurs en France les difficultés rencontrées à tous les niveaux par les grandes institutions juives, à commencer par celles qui se disent « israélites », dont les structures se fissurent et qui ne savent plus trop où elles habitent.
Pour continuer de participer à la vie nationale française, les Juifs se trouvent en effet devant une alternative dont aucune des branches n’offre de débouché : soit ils restent fidèles aux institutions nationales - mais alors comment accepter les errements et les aveuglements de l’Etat face aux dangers qui menacent l’identité du pays ? - soit ils dénoncent ces dangers au nom de la défense de l’identité française mais ils risquent alors d’être rejetés et considérés comme de dangereux « néo-conservateur » ou « crypto-fasciste ». Cette double impasse explique pourquoi la parole juive trouve de plus en plus difficilement plus sa place et oouvre la perspective d’une révision programmée du statut de ceux qui continuent de la porter.
Ce bouleversement peut faire peur aux Juifs français. On ne se sépare pas facilement d’un pays où l’on disait que Dieu lui-même pouvait trouver une forme de bonheur ! Il est toujours difficile de sortir d’un modèle existentiel depuis si longtemps établi. Le changement en cours semble toutefois inexorable. Il conduit à ce que le Rav Léon Ashkenazi appelait il y a déjà 40 ans « une mutation d’identité de Juifs à Hébreux ». Il suggérait cependant de ne pas avoir peur de ce retour à la particularité d’Israël car elle constitue, selon lui, la condition du rayonnement de sa dimension universelle. C’est ainsi en tout cas que je comprends sa pensée :
" L'identité juive, c'est l'Hébreu à l'exposant de telle ou telle nation alors que l’identité hébraïque, c'est le Juif mais à l'exposant de l'humanité toute entière ".