De passage en Israël pour quelques semaines pour y présenter mon documentaire « Alyah, de Juifs à Hébreux » consacré à l’évolution de l’identité juive à l’heure du retour des Juifs sur leur terre, j’ai visité ce mois-ci à Tel Aviv le musée du peuple juif. Autrefois nommé musée de la diaspora comme l’indique encore son nom en Hébreu (Beit Hatfutsoth ) il est situé - j’allais dire exilé - sur le campus de l’Université de Tel Aviv dans le quartier de Ramat Aviv.
Cette visite m’a laissé une étrange impression… de vide.
On n’y trouve qu’un écho affaibli des richesses de l’histoire du peuple juif dispersé pendant deux mille ans aux quatre coins du monde. Pas de vrai travail muséographique sur les traditions, sur les us et coutumes, sur la vie quotidienne, rien qui fasse vraiment revivre les heures glorieuses ou tragiques du peuple juif et du judaïsme en diaspora.
Au lieu de cela, trois salles d’exposition.
Dans la première sont présentées les maquettes d’une vingtaine de grandes synagogues, quelques objets cultuels sans plus d’explication, le tout baigné dans la musique d’un clip où l’on voit des fidèles chanter le Leha Dodi de Tel Aviv à San Francisco dans une ambiance festive sans véritable rapport avec le sujet.
La seconde propose une exposition consacrée à l’humour juif où l’on peut voir principalement des extraits de films.
La troisième salle « interactive » est destinée aux enfants. On peut y taper sur un punching ball, où voir des dessins animés retraçant en 1 minute 30 la théorie de la relativité ou la pensée de Spinoza. Parmi les 143 « super-héros » présentés, la star du basket-ball du Maccabi Tel Aviv, Tal Brody côtoie Albert Einstein, lequel cohabite avec une ancienne gagnante de l’Eurovision !
La conservatrice Orit Shaham Grover nous explique : « l’installation est conçue pour entraîner les visiteurs dans un voyage fascinant à travers un récit unique et perpétuel qui repose sur une approche pluraliste et globale, une célébration de la créativité et du renouveau et l’identification. »Pas vraiment étonnant qu’à partir de ces « concepts » on ne trouve pas grand-chose dans le musée qui satisfasse la curiosité d’un amateur d’histoire juive.
Il semble difficile de ne pas lire dans cette vacuité organisée une volonté tacite d’occulter le passé, où plutôt de l’instrumentaliser pour renforcer l’identité juive d’aujourd’hui.
Israël, tout à sa construction nationale, ne souhaite pas s’embarrasser de l’histoire du peuple juif. La tendance, bien que plus subtilement, reste la même qu’aux premières années de l’Etat où seul « l’homme nouveau » comptait et où les nouveaux arrivants, fussent-ils marqués par les plus dures épreuves, étaient priés de laisser les pesanteurs de leur histoire au vestiaire.
Passé ce moment d’étonnement critique, je me suis toutefois interrogé. Et si cette occultation volontaire était une condition nécessaire pour que la société israélienne conserve son élan ?
L’un des intervenants de mon documentaire résume ainsi sa vision : « Israël est l’Etat du présent ». Il ne regarde ni vers le passé, ni même vers l’avenir. J’ai pu le constater au fil de mon enquête : si les Israéliens ne sont effectivement pas tournés vers le passé, ils ne se projettent pas vraiment non plus dans le moyen terme, encore moins dans le temps long. Sans rétroviseur, ni longue vue, le pays avance avec toute son énergie concentrée sur un temps saturé d’a-présent, scandé de possibles actualisés ou abandonnés. Dans cette perspective, la catégorie temporelle centrale est bien celle du présent, et non celle du passé (qui domine les visions déterministes de l’histoire) ou celle du future (qui domine les visions utopistes). Le présent, c’est le moment par excellence du réveil. Il tire à lui le passé et le remet sans cesse en jeu. Il ouvre un à-venir dont le dernier mot n’est jamais dit. Dans ses Thèses sur la philosophie de l’histoire,Walter Benjamin soutenait déjà que : « chaque seconde est la porte étroite par laquelle peut passer le Messie ».
Antoine MERCIER